Dans une note précédente sur le documentaire Jesus camp, actuellement sur les écrans, j'ai précisé que le groupe ainsi montré n'est pas évangélique mainstream (tendance dominante), mais se rattache à une tendance minoritaire, quoiqu'en croissance: le charismatisme troisième vague.
Je conviens que cette appellation demande des précisions. Je les ai apportées à l'hebdomadaire Réforme, qui a bien voulu publier quelques extraits de ma réponse. Voici ci-dessous le texte intégral. Alors, les charismatiques troisième vague, c'est quoi?
Durant les années 1990, un débat a secoué le monde des sociologues. Beaucoup d'observateurs avaient le sentiment qu'il s'était passé quelque chose de nouveau dans l'univers charismatique-pentecôtiste des années 1980. Mais fallait-il pour autant parler d'un nouveau mouvement, alors désigné comme néo-pentecôtisme?
On a beaucoup hésité à ce sujet, et le numéro spécial des Archives de Sciences Sociales des Religions de 1999 (n°105) qui traite du pentecôtisme consacre une part importante de ses pages à traiter du sujet (Jean-Paul Willaime avait à l'époque tranché plutôt en défaveur du vocable "néopentecôtisme", en soulignant les continuités plus que les différences). Ces hésitations étaient très compréhensibles à l'époque, car on n'avait pas encore assez de recul pour trancher.
Aujourd'hui en revanche, il paraît de plus en plus net qu'on assiste effectivement, depuis le début des années 1980, à un mouvement nouveau. Il est à la fois issu du pentecôtisme et du charismatisme, tout en se distinguant de ses prédécesseurs par des accents spécifiques. Voici lesquels.
La "première vague" aurait donné naissance au pentecôtisme, au début du XXe siècle, avec un fort accent sur le baptême du Saint-Esprit, la glossolalie, le biblicisme et une structuration confessionnelle séparée. Représentant le plus connu de cette vague, le puissant mouvement des ADD (Assemblées de Dieu).
La "seconde vague" aurait, elle, donné naissance au charismatisme classique, à partir du début des années 1960. Elle se caractérise par un fort accent sur l'épanouissement par l'Esprit, la diversité des dons spirituels (sans se focaliser sur la glossolalie qui perd son statut de signe indipensable), une ouverture oecuménique (dimension trans-confessionnelle), et un biblicisme à géométrie variable.
Le charismatisme "troisième vague" (largement assimilable à ce qu'on appelle le "néo-pentecôtisme") est né quant à lui au début des années 1980. Il emprunte à ses deux prédécesseurs, mais se distingue sur trois points.
Trois critères distinctifs
a/ D'abord, il insiste très fortement sur la spiritualisation des lieux et des nations (possédés par des esprits, des démons, des anges....).
b/ Ensuite, il met au premier plan la "guerre spirituelle" (spiritual warfare) entre Dieu et ses anges, et Satan et ses démons.
c/ Enfin, il martèle l'idée que l'Evangile doit être "puissant" (Power Evangelism), donc se manifester obligatoirement par des "signes et prodiges" (Signs and Wonders), ce qui a nettement tendance à marginaliser le biblicisme évangélique au profit d'une vision hyper-enchantée du monde.
L'idée de base des charismatiques Troisième vague est que les évangéliques ont commis l'erreur de maintenir les réalités spirituelles et les réalités temporelles trop séparées. En fait, pour les charismatiques Troisième vague, anges et démons qui luttent spirituellement luttent AUSSI temporellement, le monde dans lequel nous vivons, chaque maison, chaque ville, chaque "nation" étant le théâtre d'un affrontement constant, incarné et territorialisé, entre forces de Dieu et forces des ténèbres.
Cette présence obsédante des "esprits territoriaux" ("territorial spirits") demande de la part des chrétiens un "Evangile puissant", un Power evangelism, à base de miracles infusés par le Saint-Esprit. Il s'agit, pour les charismatiques Troisième vague, d'un "changement de paradigme" (Paradigm schift).
Ce charismatisme nouvelle vague est largement post-millénariste, au contraire du pré-millénarisme défendu par une majorité d'évangéliques (1). Il part du principe que le Power evangelism va faire prospérer et triompher les élus de Dieu (accent sur les bénédictions visibles, la théologie de la prospérité), et défaire définitivement les forces des ténèbres.
Ce mouvement est issu, au départ, de la pensée de trois personnalités charismatiques. Il s'agit de Peter Wagner (théoricien du Church Growth Movement (2), voir photo ci-contre), de John Wimber (des Eglises Vineyard, à l'origine du mouvement de la bénédiction de Toronto qui se rattache aussi à la 3e vague charismatique) et de George Otis Jr. Ce dernier n'est autre que le père du "spiritual mapping", qui consiste à pointer sur une carte les places fortes d'où il faut déloger les démons.
Cette mouvance Troisième vague valorise les prophètes-stratèges, à forte autorité charismatique, des "visionnaires" chargés, tels les généraux de Napoléon, de mener les troupes à la victoire (les termes "leader", "prophet", "visionnary" reviennent constamment dans la rhétorique de ces charismatiques). Des Kenneth Copeland, Morris Cerullo, Benny Hinn, et bien d'autres ont bâti leur prestige de leader sur ces bases, non sans rumeurs (fondées!) d'abus de situation d'autorité, véhiculées y compris dans les milieux évangéliques. Dernier scandale en date, l'arrestation récente aux Etats-Unis de l'Apôtre' (ainsi que son épouse) de l'énorme Eglise néocharismatique brésilienne Renascer (Reborn in Christ): ils se promenaient avec 56,000$ d'argent cash sur eux...
Ci-dessus: Estevam Hernandes Filho et Sonia Haddad Hernandes, "stars" du charismatisme Troisième Vague au Brésil, en attente aujourd'hui d'un procès aux Etats-Unis: avec l'argent des fidèles (love offerings, dons à la personne, pratique favorisée par l'accent sur le charisme personnel), ils se sont offert un train de vie princier (propriétés luxueuses au Brésil et aux Etats-Unis, énormes dépenses en argent liquide).
L'élément qui a précipité leur arrestation à Miami est la découverte de 9,000$ de cash.... dans leur Bible. Les douaniers américains n'ont semble-t-il pas attribué cette découverte à un miracle, mais bien à une fraude caractérisée, qui conduira 'l'apôtre' Estevam et 'l'évêque' Sonia devant les tribunaux.
Trois conjonctures favorables
Soyons clairs: les trois éléments distinctifs du charismatisme Troisième vague se retrouvaient déjà en partie dans les deux premières vagues. Mais ils sont ici très fortement accentués. Ils se nourrissent de trois conjonctures favorables.
-D'abord, un renouveau du manichéisme guerrier dans la culture occidentale contemporaine, massivement nourrie par les jeux vidéo, qui valorise les structures d'affrontement binaire.
-Ensuite, l'influence croissante, dans le cadre de la globalisation, des spiritualités animistes et démonologiques des sociétés traditionnelles africaines, qui s'hybrident à merveille avec la thématique de la "guerre spirituelle" et l'enchantement des nations que valorise le charismatisme Troisième vague.
-Enfin, le déclin culturel de la lecture au profit de l'image: en théorie, les charismatiques Troisième vague sont pourtant parfois biblicistes, mais le plus souvent ce n'est pas le cas, le signe visible l'emportant sur l'Ecriture: une affirmation connue de Wimber stipule que "Dieu est plus grand que sa parole", et puisque Dieu peut se manifester par des miracles de toutes sortes, pourquoi se fatiguer à sonder sa parole?
Dans la pratique, on peut affirmer que les charismatiques Troisième vague sont très rarement biblicistes, privilégiant le spectaculaire visible et l'efficacité miraculeuse de l'agir divin. Ce charismatisme Troisième vague, largement assimilable au Power Evangelism (litt. Evangile de puissance) a donné naissance à des organisations spécifiques, typiquement Troisième vague, comme Harvest International, auquel se rattache justement le "Jesus Camp" de Becky Fischer.
Comme je le soulignais dans une note précédente, ce film Jesus Camp illustre bien des traits typiques de cette mouvance, comme le ressassement constant de thématiques guerrières binaires ou la spiritualisation dramatisée de tous les enjeux. Mais il a aussi influencé des Eglises existantes. Certaines assemblées ADD (Assemblées de Dieu, a priori rattachées à la "première vague" charismatique du début du XXe siècle) se sont rapprochées de la Troisième vague (d'autres sont très réticentes), ainsi que diverses Eglises charismatiques traditionnelles.
En France, on peut considérer qu'un bon quart du charismatisme évangélique est aujourd'hui sensible à la Troisième vague. Un phénomène comme la Marche pour Jésus en est très proche, par exemple, avec son accent sur l'enchantement des lieux, des rues, et le combat spatial à mener dans le tissu urbain parisien pour "reprendre la ville" pour Jésus.
Certains chants charismatiques récents, en vogue dans bien des cercles évangéliques, portent aussi l'empreinte de l'influence Troisième vague, notamment un chant comme "Prenons position et déclarons, cette ville appartient à Jésus".
Ils s'appuient sur la métaphore guerrière (qui, elle, n'est pas nouvelle: elle est biblique, et renvoie à un long héritage revivaliste) en l'accommodant aux thématiques du spiritual mapping: espaces, nations, territoires, villes seraient l'objet d'un combat territorialisé et contemporain entre forces des ténèbres et forces divines.
Cette approche atténue la rupture néotestamentaire de la Croix, de la réssurrection et de la grâce que valorisent traditionnellement les évangéliques, en réactualisant (sur un mode exclusivement spiritualisé) les guerres de conquête décrites dans le livre vétérotestamentaire de Josué, où le territoire païen (plutôt que les âmes, une à une) se gagne pied à pied par une conflit total.
Pistes de réflexion
Pour finir, on peut souligner que ce charismatisme Troisième vague constitue un terrain d'étude passionnant, révélateur des logiques d'adaptation religieuse contemporaine.
Une des pistes à creuser serait le retour du territoire dans l'approche évangélique. On a longtemps écrit (moi le premier) que le protestantisme évangélique a tendance à une "déterritorialisation" des appartenances relgieuses, et cela reste globalement vrai, par l'accent sur l'identité par choix personnel: dans la logique évangélique, ce n'est pas parce que je nais ici ou là que je dois être catholique, protestant, juif ou musulman: l'identité vient de la conversion. De même, l'église locale (paroisse) n'est pas une unité territoriale, mais un rassemblement de croyants.
Ceci dit, avec le charismatisme Troisième vague, le territoire est de retour comme élément signifiant de premier plan: il n'est pas neutre, mais l'objet d'un marquage spirituel, identitaire, entre forces qui s'affrontent et où le chrétien doit "prendre position" et partir à la conquête. Il serait nécessaire d'aller plus loin dans l'étude des implications de ce retour du territoire au sein de la culture charismatique Troisième vague.
Par ailleurs, on peut se demander si la mouvance Troisième vague ne présente pas un potentiel sectaire plus important que ses deux précédesseurs, pour une raison simple: l'hyper spiritualisation des enjeux et des territoires, la lecture de l'ensemble du réel (politique, social, psychologique) en terme de combat démonologique au détriment du rapport de l'individu avec le texte biblique érodent considérablement l'esprit critique et favorisent les logiques d'enrôlement ("Prenons position"... pour prendre la ville...).
Cela ne veut pas dire, loin de là, que l'ensemble de cette mouvance soit touchée par des dérives sectaires, mais disons que certains traits distinctifs de ce courant faciliteraient les récupérations démagogiques, l'autoritarisme des leaders, et favoriseraient les mobilisations militantes, y compris dans le champ politique. Jesus Camp en est une illustration saisissante (quoique particulière), qui nous invite à la réflexion.... et à la poursuite des recherches, encore peu nombreuses (3), sur ce terrain.
(1) Comme vous pourrez en trouver définition dans Les protestants (Paris, cavalier Bleu, 2003, p.120), le millénarisme est une "doctrine qui défend l'idée d'un règne visible de Jésus-Christ sur la terre, à la fin des temps, avant le jugement dernier".Ce règne est supposé durer 1000 ans" (...). Rappelons que les pré-millénaristes pensent que l'histoire humaine actuelle est une séquence profane qui appelle les chrétiens au témoignage, dans l'attente du retour à venir de Jésus-Christ, qui seul établira le Royaume de Dieu. A l'inverse de ces pré-millénaristes, les post-millénaristes (dont font intégralement partie les charismatiques Troisième vague) pensent que le Royaume de Dieu est déjà là, en phase de construction, et que le gros du combat contre les forces des ténèbres, c'est aux chrétiens (et non à Jésus directement lors de son retour à venir, comme le pensent les pré-millénaristes) de le mener pour conquérir le monde.
(2) Précisons que le Church Growth Movement en lui-même (qui mériterait une autre note) n'est pas directement lié au charismatisme Troisième vague, même s'il peut y avoir des croisées d'influence.
(3) je salue particulièrement celles de mon collègue Yannick Fer dont je vous rappelle le blog. Etudiant actuellement l'organisation Jeunesse en mission, Yannick Fer est un très bon connaisseur des arcanes du charismatisme Troisième vague, notamment le terrain du spiritual mapping.
00:10 Publié dans Protestantisme évangélique |
Le luthéranisme remonte aux origines mêmes de la Réforme et se réclame des trois affirmations centrales du message de Luther :
La théologie luthérienne prend sa source dans l'événement de la croix : l'humanité y rencontre Dieu lui-même, dans la détresse du Christ crucifié qui a accepté d'aller jusqu'au tréfonds de la misère humaine. Désormais, l'être humain est "à la fois pécheur et justifié". Transformé dans sa rencontre avec Dieu, libéré de l'angoisse de la solitude et des affres du désespoir, il peut s'ouvrir aux autres et se consacrer à leur service. Même lorsqu'elle se réfère au principe des "deux règnes" (temporel et spirituel), la théologie luthérienne valorise l'histoire et le monde comme lieux où Dieu appelle les hommes à s'engager.
Regroupées au sein de la Fédération luthérienne mondiale (FLM : 55 millions de membres), les Eglises luthériennes vivent en communion ecclésiale. Elles sont néanmoins différemment organisées : certaines, notamment en Scandinavie, ont adopté un fonctionnement de type épiscopalien, conservant une certaine hiérarchie ecclésiastique. D'autres, comme en France, ont adopté un système de type presbytérien-synodal, ou ont opté pour un fonctionnement intermédiaire entre le système épiscopalien et le système presbytérien-synodal.
Les Eglises évangéliques tiennent leurs origines de différents mouvements réformateurs protestants du XVIe siècle, en particulier anabaptistes.
D'une manière générale, ces Eglises ont la particularité de ne reconnaître comme membres que celles et ceux qui font profession de foi en Jésus-Christ et qui, en demandant le baptême, font un acte volontaire et personnel de repentance et de foi. Pour cette raison, les Eglises évangéliques ne pratiquent pas le baptême des petits enfants. Ce sont des Eglises de professants, se distinguant sur ce point des Eglises multitudinistes. Par ailleurs, les évangéliques se réclament des grands principes de la Réforme, en particulier le salut par la grâce reçue dans la foi et la "sola scriptura'' : parole inspirée de Dieu, l'Ecriture est l'autorité unique et suffisante sur le plan théologique.
Dès le début de leur histoire, les évangéliques ont affirmé avec force le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat. Ils accordent également autant d'importance à l'évangélisation qu'à l'action sociale : chaque Eglise est appelée à discerner les lieux de témoignage et de service appelant un ministère diaconal.
Les Eglises évangéliques peuvent être organisées selon différents principes (congrégationaliste, presbytéro-synodal, etc.).
Le pentecôtisme est né de mouvements de Réveil particuliers qui se sont manifestés au début du XX° siècle, aux Etats-Unis (sous l'impulsion des pasteurs Charles Parham et William Seymour), en Inde et au Pays de Galles (sous l'influence d'Evan Roberts, prédicateur laïc méthodiste). La volonté des premiers pentecôtistes était de revenir aux sources de l'Eglise primitive et de revivre l'expérience des temps apostoliques, plus particulièrement du jour de la Pentecôte.
La particularité théologique des pentecôtistes est de penser qu'en plus de la présence du Saint Esprit dans le croyant à travers la nouvelle naissance, il y aussi un revêtement de puissance communiqué lors d'une expérience particulière appelé baptême de l'Esprit. Celui-ci confère au croyant des dons particuliers comme le parler en langue, la prophétie ou la guérison divine. Ces dons de l'Esprit (ou charismes) sont énumérés dans la première Epître aux Corinthiens.
Les Eglises pentecôtistes se font les témoins de "l'Evangile aux quatre angles": Jésus sauve, baptise, guérit, revient. Par ailleurs, elles se situent dans la tradition protestante évangélique et baptiste et se réfèrent aux grands principes de la Réforme : salut par la grâce, autorité de la Bible seule, sacerdoce universel.
Sur le plan ecclésiologique, les Eglises pentecôtistes sont souvent congrégationalistes, mais certaines peuvent être de type prebytéro-synodal, ou au contraire de type épiscopal.
Suivant les sources, le nombre de Pentecôtistes classiques varie de 150 millions à 230 millions dans le monde. En rajoutant les Eglises charismatiques et néo-pentecôtistes, ainsi que les Eglises indigènes non blanches (qui sont souvent d'origine pentecôtiste), le recensement le plus récent (juin 2000) avance le chiffre de 500 millions de personnes (International Bulletin of Missionary Research).