Théories de l'Evolution ! Suite 5 !!

 

Conclusion

Créationnisme, signifiant étymologiquement science de la création est une contradiction dans les termes. Un principe central de la science moderne est qu’elle est méthodologiquement naturaliste (position philosophique selon laquelle rien n’existe en dehors de la nature, et que rien n’est donc surnaturel, Wikipedia [fr], NdT), elle cherche donc à expliquer l’univers purement en termes de mécanismes naturels observables ou testables. Par exemple, la physique décrit le noyau atomique avec des concepts spécifiques régissant la matière et l’énergie, et elle teste ces descriptions expérimentalement. Les physiciens introduisent de nouvelles particules, telles que les quarks pour affiner leurs théories, uniquement lorsque les données montrent que les descriptions précédentes ne sont pas suffisantes pour expliquer les phénomènes observés. Les nouvelles particules n’ont pas de propriétés arbitraires fixées selon leurs besoins et d’ailleurs leurs définitions sont étroitement limitées, car elles doivent s’inscrire dans le cadre actuel de la physique.
En revanche, les théoriciens de l’intelligent design invoquent des entités obscures qui ont commodément les capacités requises pour résoudre le mystère à portée de main. Plutôt que de développer la recherche scientifique, de telles réponses arrêtent net cette dernière (dans le sens : le contentement de telles réponses ne légitime plus la recherche fondamentale). Comment peut-on réfuter ou prouver l’existence d’intelligences toute puissante ?
L’intelligent design n’offre que peu de réponses. Par exemple, quand et comment une intelligence supérieure intervient dans l’histoire de la vie ? En créant le premier ADN ? La première cellule ? Le premier homme ? Chaque espèce a été conçue, ou juste quelques unes ? Les partisans de l’intelligent design refusent fréquemment d’être en faiblesse sur ces points. En réalité, ils n’ont même pas de véritable tentative de conciliation de leurs idées disparates sur le sujet. Au lieu cela, ils poursuivent leur argument de l’exclusion, c’est-à-dire la dépréciation des explications évolutionnistes, par des argumentations tirées par les cheveux ou incomplètes, et ensuite seulement s’en remettent au seules alternatives restantes, celles impliquant une intelligence directrice.

Logiquement, cela est trompeur: même si une explication naturaliste est dépassée, cela ne signifie pas que toutes le sont, et surtout cela ne fait pas de l’intelligent design une conception plus raisonnable qu’une autre. Les spectateurs de ces débats sont invités à remplir les trous laissés dans leur argumentation, et certains vont sans doute le faire en substituant leurs croyances religieuses aux idées scientifiques.
À maintes reprises, la science a montré que sa méthodologie naturaliste pouvait faire reculer l’ignorance, en cherchant et trouvant des réponses de plus en plus détaillées et informatives aux mystères qui semblaient autrefois impénétrables : la nature de la lumière, les causes des maladies, la façon dont le cerveau fonctionne. C’est également le but de l’évolution, de résoudre l’énigme de la façon dont le monde vivant a pris forme. Le créationnisme, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’apporte rien à cet effort intellectuel.

Photos Creative Commons (liens sur les photos vers les pages des auteurs).

 

Le Nouvel Observateur

Nº2204

SEMAINE DU JEUDI 01 Février 2007

 
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Les débats de l'Obs

Frère dominicain et scientifique, l’auteur de « Dieu versus Darwin » s’alarme des attaques répétées contre la théorie pourtant universellement admise de l’évolution des espèces

 


 

L’offensive du Dessein intelligent
Il y a dix ans, quand je publiais « les Créationnistes », un essai sur ces mouvements anti-évolutionnistes, nés dans les milieux protestants américains au cours du xixe siècle, ils ne me paraissaient pas vraiment redoutables. Et pourtant… Aujourd’hui, aux Etats-Unis, la moitié des Américains croit encore en une création récente et « spéciale » des premiers humains ! Ces dernières années, on a vu apparaître une offensive d’un genre nouveau : la thèse du Dessein intelligent, l’Intelligent Design ou ID. La complexité du monde vivant (par exemple les systèmes irréductibles que sont l’œil ou la bactérie) prouverait l’intervention d’une « intelligence supérieure », d’un Créateur. C’est une vision extrêmement déterministe du monde.
La première génération des créationnistes purs et durs revendiquait « la Bible ou rien » contre les théories de Charles Darwin formulées en 1859. Celle de la creation science, à partir des années 1960, tente de faire passer le récit de la Genèse pour une hypothèse scientifique, pouvant être enseignée dans les public schools au même titre que l’évolution. Aujourd’hui, les néocréationnistes, eux, se montrent beaucoup plus subtils. Ils utilisent la moindre faiblesse des théories scientifiques actuelles pour les invalider à leur profit.
Ils ne citent jamais directement le nom de Dieu, ne mettent pas la Bible au premier plan et ne se présentent pas eux-mêmes comme des créationnistes. Tous, néanmoins, anciens comme néos, estiment qu’en niant le dogme de la Création les théories évolutionnistes sapent les fondements moraux de la société. Avortement, relativisme, matérialisme, féminisme, etc. sont, à leurs yeux, autant de branches de l’arbre de l’évolution à abattre.

Vers la théocratie


Ne nous leurrons pas, ce que souhaitent vraiment les créationnistes, c’est l’établissement d’une théocratie aux Etats-Unis. Ils fonctionnent comme de puissants lobbys. Politiquement, ils ont de forts appuis du côté de la droite chrétienne et des républicains. C’était Ronald Reagan pour ceux de la deuxième période, c’est George W. Bush aujourd’hui pour les défenseurs du Dessein intelligent. Le président américain s’étant même déclaré, en août 2005, pour l’enseignement des deux théories (darwiniste et ID) à l’école. Quant aux généreux donateurs, qui financent à coups de millions le Discovery Institute de Seattle, le think tank du créationnisme scientifique, ce sont souvent les mêmes qui ont subventionné la campagne de Bush, et généralement des intégristes de la pensée avec des visions politiques extrêmement réactionnaires. On peut comparer les croisades créationnistes à ces mouvements de réarmement moral actuellement à l’œuvre dans certains pays musulmans, que l’on qualifie d’islamisme. On retrouve d’ailleurs la convergence des trois « ismes » : un littéralisme ou concordisme, dans le fait de lire le texte sacré à la lettre ou en ne s’autorisant que de très modestes interprétations ; un fondamentalisme, qui naît à la fin du xixe siècle et prône le retour aux sources de la foi ; et un intégrisme, puisqu’il s’agit de faire rentrer l’ensemble de la société dans le cadre de ces « fondamentaux ».

Soulignons, du reste, que le créationnisme n’est pas le seul fait des chrétiens, même si le gros des troupes est formé des évangéliques américains. Il y a des créationnistes juifs et musulmans. Le Coran, comme la Bible, affirme que Dieu a créé l’univers et tout ce qu’il renferme en six jours...

Créationnisme musulman
La Turquie est exemplaire de ce mouvement. C’est l’un des principaux foyers de créationnisme « scientifique » musulman. Après le coup d’Etat militaire de 1980 et l’arrivée au pouvoir de musulmans très actifs, les intégristes turcs ont enfourché le cheval de bataille de l’anti-évolutionnisme pour servir leur discours politique. Dans cette mouvance extrémiste est née, en 1991, une Fondation pour la Recherche et la Science, le BAV (Bilim Arastirma Vakfi). Son but : faire disparaître de la société turque, et au premier chef de l’enseignement, l’idée d’évolution. Il distribue des plaquettes et des livres violemment hostiles au darwinisme signés par un certain Harun Yahya. Pour l’auteur, dont on ignore l’identité réelle, Darwin est le grand Satan, à l’origine de tous les maux de notre époque – racisme, colonialisme, nazisme, communisme, capitalisme... et même des attentats du 11 septembre 2001 ! Pour ma part, c’est dans la bibliothèque du Congrès que j’ai découvert ces ouvrages.
Les créationnistes américains sont en effet très actifs hors de leurs frontières. Ils exercent un prosélytisme œcuménique. En Turquie justement, on sait que le BAV entretient des relations régulières avec les membres de l’Institut de Recherche créationniste américain (ICR). Leurs liens remontent probablement aux expéditions américaines des années 1980 pour retrouver l’arche de Noé. L’an passé, en Australie, où le mouvement s’est implanté dès le début des années 1970, une organisation chrétienne de Floride a fait parvenir des DVD de présentation des thèses de l’Intelligent Design à plus de 3 000 collèges. Et un peu partout, au Canada, en Corée du Sud, en Suède, aux Pays-Bas, en Suisse, ou même à Moscou, le créationnisme américain cherche à s’exporter.

Le réseau français
En France, il ne faut pas s’alarmer ni se voiler la face. La présidente de l’Inra (Institut national de la Recherche agronomique) me confiait récemment que certains de ses chercheurs étaient créationnistes, et qu’ils ne s’en cachaient pas. Dans nos écoles, les professeurs enseignent déjà l’évolutionnisme a minima, redoutant des réactions hostiles, notamment dans les rangs des petits musulmans. Nous avons aussi nos instituts. Le Cercle d’Etude historique et scientifique, qui compte 600 membres, a été fondé en 1971 pour rejeter toutes les thèses présentes ou à venir contraires à la Bible. L’association se rallie au point de vue des « scientifiques créationnistes bibliques » qui accordent une importance capitale au phénomène du Déluge. Et, dans la mouvance intellectuelle du Dessein intelligent, l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), qui est en réalité un organisme à fonds privés, reçoit des aides de la Fondation John Templeton « pour le progrès de la religion dans les sciences ».
Un jour, le secrétaire général de l’UIP m’a invité à rejoindre son camp en me disant qu’il me proposait une « Ferrari » (le Dessein intelligent) pour attirer plus vite de nouveaux fidèles. Je lui ai répondu que le Christ était bien entré dans Jérusalem à dos de mule, lui. Où est le message biblique dans tout ça ? Je ne vois que des simplismes et des amalgames. Pour moi, le sens de la religion, c’est d’abord de se poser des questions. On me demande souvent comment je peux croire à la fois en Dieu et en Darwin. Mais je ne « crois » pas en Darwin, je suis sensible à ce que les scientifiques me disent aujourd’hui du vivant et du cosmos. Comme je suis conscient du fait que toute hypothèse scientifique sur l’origine du monde laisse ouvert le problème du commencement de l’univers. L’interrogation sur le sens de l’existence humaine reste toujours à reprendre. Mais nous sommes en droit de refuser toute revendication de type intégriste. Mon premier souci est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à Darwin ce qui est à Darwin.


Né en 1961, Jacques Arnould, frère dominicain, ingénieur agronome, docteur en histoire des sciences et en théologie, est actuellement chargé de mission au Cnes (Centre national d’Etudes spatiales). Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages traitant du rapport entre science et religion, dont « les Créationnistes » (Cerf). Il vient de publier chez Albin Michel « Dieu versus Darwin. Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? ».

 

 

Marie Lemonnier
Le Nouvel Observateur

Complot contre Darwin

 

 

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