Rappel des faits Dans son rapport présenté devant le Conseil de l’Europe le 8 juin 2007, l’ancien député français Guy Lengagne (photo - Site de l’Assemblée Nationale) dénonçait les dérives créationnistes auxquelles s’expose le système éducatif européen. D’une étude approfondie des bases de la théorie de l’évolution et des thèses créationnistes passées et actuelles, Guy Lengagne tirait les conclusions suivantes : « L’évolution est une théorie centrale pour comprendre l’univers de la vie sur Terre. Le créationnisme […] n’est pas basé sur des faits, n’utilise pas de raisonnement scientifique et son contenu est désespérément inadapté aux classes scientifiques. » En conclusion, il invitait le Conseil de l’Europe à adopter une résolution visant à « réagir avant qu’il ne soit trop tard » afin de protéger « les valeurs qui sont l’essence même du Conseil de l’Europe. »
Hélas, l’auteur se voit débouté, son rapport renvoyé en commission le 26 juin suivant par 64 voix contre 46. Voyant là une relégation aux oubliettes, signe de la montée de l’irrationnel dans nos sociétés, Guy Lengagne organise immédiatement une conférence de presse (cf. post du 3 janvier 2008) Ainsi, forte du travail de son prédécesseur et du soutien d’autres membres du Conseil, l’ancienne ministre luxembourgeoise de l’Education nationale, Anne Brasseur, présente le 17 septembre dernier une version améliorée du Rapport Lengagne. Et c’est donc sous l’attention accrue des médias qu’un mois plus tard sera adoptée par le Conseil de l’Europe la Résolution 1580 intitulée « Dangers du créationnisme dans l’éducation ».
Pourquoi discuter du créationnisme au sein du Conseil de l’Europe ? C’est Maria Manuela de Melo, parlementaire européenne et l’une des plus ardentes défenderesses des textes présentés, qui répond le mieux à cette interrogation. « Lorsque quelques uns prétendent mettre au même niveau la théorie scientifique de l’évolutionnisme et la conviction religieuse du créationnisme, ils sont en train d’ouvrir un front d’attaque à deux instruments essentiels du Conseil de l’Europe : la séparation entre Etat et Eglise, comme garante de l’égalité de tous devant la loi, de la liberté religieuse et culturelle ; et l’école, en tant que centre d’apprentissage rationnel et de développement intellectuel et spirituel libre, en tant qu’espace de tolérance et d’interaction multiethnique et multireligieuse. »
En effet, le danger est, selon elle, de faire passer comme science une croyance. « La science, basée sur la formation d’hypothèses formulées à partir de faits et éprouvées par d’autres faits, connus et validés, […] essaie tout simplement de trouver le comment des choses qui se passent en nous-mêmes, autour de nous et dans l’univers. La foi religieuse est basée sur des vérités absolues. Les croyants trouvent dans leurs dogmes l’explication de la raison de tout. Il est donc naturel que, en tant que croyants, ils cherchent dans les faits seulement ce qui peut appuyer leurs croyances. »
L’une des missions du Conseil de l’Europe est de défendre les droits de l’Homme quelles que soient sa race, sa nationalité, sa culture et sa religion. Il faut donc éviter de mettre à l’école, la confusion entre ce qui essaie d’être universel et rationnel avec tout ce qui ne l’est pas.
« Séparer les champs, c’est l’unique méthode pour qu’on puisse donner de la liberté d’expression et de pensée à tout le monde. »
La Résolution 1580 Et c’est bien de séparation dont il s’agit, et non d’antagonisme, comme le souligne le premier alinéa de la Résolution : « Science et croyance doivent pouvoir coexister, mais il faut empêcher que la croyance ne s’oppose à la science. » Par conséquent, une place bien définie est attribuée à chacun : en tant que théorie scientifique fondamentale et essentielle pour l’avenir de nos sociétés et démocraties, l’enseignement de l’évolution doit occuper une place centrale dans les programmes d’enseignement notamment des programmes scientifiques ; les thèses créationnistes, comme toute approche théologique, pourraient être intégrées à l’enseignement du fait culturel et religieux.
En conclusion, « l’Assemblée parlementaire encourage les Etats membres et en particulier leurs instances éducatives :
Europe et Créationnisme Par l’adoption de cette résolution, une bataille a donc été remportée par les tenants de l’évolution, mais le combat n’est pas gagné pour autant. L’évaluation de la situation dans les états membres du Conseil de l’Europe recommandée fin 2006 est édifiante et laisse à penser que le chemin sera encore long.
En effet, l’on voit fleurir partout en Europe nombre d’organisations créationnistes plus ou moins influentes. Entre autres, nous pouvons noter le groupuscule ProGenesis dont l’objectif assumé est de « diffuser le message chrétien comme un contrepoids à la théorie omniprésente de l’évolution de Darwin » ou encore l’Université Interdisciplinaire de Paris, une association proche de la mouvance américaine de l’intelligent design. Par ailleurs, la Russie, la Serbie, la Pologne, la Grèce, les Pays-Bas ainsi que l’Italie voient remis en cause, avec plus ou moins de succès, l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles et lycées. Les initiateurs de ces mouvements se retrouvent autant parmi les élèves et leurs parents qu’au sein de la classe politique, lorsqu’il ne s’agit pas directement des ministres de l’Education des pays concernés. Enfin, et pour l’anecdote : dans un lycée allemand, les professeurs de science de la vie et de la terre enseignent à leurs élèves qu’un créateur est à l’origine des différents « types principaux » d’animaux.
En réponse à ce mouvement, nombre d’universitaires de toutes nationalités se sont élevés, trouvant plus ou moins d’écho auprès des dirigeants de leurs pays. Ainsi, le livre d’Harun Yahya, « L’Atlas de la Création », envoyé gracieusement à de nombreuses structures d’enseignement en Europe de l’ouest, s’est heurté à un retrait des rayonnage des bibliothèques françaises, voire à un refus pur et simple lors de sa livraison en Suisse ; ces actions ayant été préconisées par les ministères de l’éducation et/ou de l’enseignement.
L’adoption de la Résolution 1580 au niveau européen donnera sans aucun doute un poids supplémentaire aux défenseurs de l’évolution, au sein des débats qui agitent le monde politique. L’avenir des thèses créationnistes au sein de l’enseignement des sciences en Europe semble donc compromis pour le moment. Cependant, la publication prochaine du troisième tome de « l’Atlas de la Création », ainsi que les nombreuses conférences organisées aux quatre coins de l’Europe laissent à penser que la contre-offensive créationniste ne se fera certainement pas attendre.
L’intégralité des textes cités est consultable grâce aux liens suivantes :